La recherche de performances sportives est un domaine dans lequel la créativité règne en maître. Le cyclisme n’y échappe pas. Mieux encore, le monde du vélo est devenu un surprenant terrain de jeu expérimental. Tout profit pour les cyclistes professionnels mais aussi pour les cyclotouristes amateurs et les spectateurs. Voici comme la data est en train de révolutionner le cyclisme.
Le vélo et la science sont aujourd’hui devenus indissociables. La science au service du sport, pour mieux comprendre son corps et sans cesse progresser. Souvenez-vous par exemple de l’article ‘Pourquoi a-t-on toujours l’impression d’avoir le vent de face à vélo ?‘
Mesurer, c’est savoir
Dès lors que chaque gain est potentiellement synonyme d’avantage concurrentiel, tout se mesure, tout s’analyse. Et cela va bien plus loin qu’on ne le pense. Bienvenue dans le monde de la data.
Les exemples créatifs sont légion dans le cyclisme. Pour traiter le sujet, j’ai interviewé Wim Vanden Driessche, Managing Partner du groupe Cronos, l’un des leaders de l’analyse de données.
Après avoir aidé les entreprises sur la voie de la transformation digitale pendant des années, son groupe met désormais aussi son expertise au service du monde sportif. Depuis deux ans, le groupe belge combine data, innovation et science pour améliorer les performances sportives et renforcer l’attractivité du sport pour le grand public.
“La data est devenue le meilleur allié du sportif en quête de résultats”, dit Wim, qui accompagne notamment le Comité Olympique et Interfédéral Belge (COIB) ou la fédération belge du cyclisme (Belgian Cycling). “Le tout est de collecter des données pour ensuite les analyser”.
Quelle data collecter ?
Aujourd’hui, l’analyse de la fréquence cardiaque, de la puissance ou de la fréquence de pédalage fait partie des paramètres de base de tout programme d’entraînement cycliste. Même du cyclotouriste amateur.
Chez les cyclistes professionnels, la collecte des données ne se limite toutefois pas à ces grands classiques. Les chercheurs explorent diverses pistes. En voici quelques unes probablement peu connues du grand public :
- mesure du taux de lactate : cette mesure importante sert à dépister une mauvaise oxygénation des tissus musculaires, synonyme de fatigue musculaire. La méthode de collecte classique passe par une prise de sang. L’information est toutefois aussi exploitable au départ de la salive. Raison pour laquelle des chercheurs de la KU Leuven travaillent actuellement à un implant dentaire qui permettrait un monitoring en continu de la lactatémie chez le cycliste.
- mesure de la température : exposé à des températures inhabituelles, le corps peut réagir de manière surprenante. Une surchauffe de l’organisme peut en effet entraîner une forte diminution des performances sportives. Par ailleurs, tout le monde réagit différemment en la matière. D’où l’idée de chercheurs de faire ingurgiter aux cyclistes un capteur de type thermomètre sous la forme d’une pilule pour un monitoring de longue durée.
- mesure du stress : le stress a un impact considérable sur le niveau de performance du cycliste. Le stress entraîne notamment une hausse du rythme cardiaque et de la température du corps. Il est un énorme consommateur d’énergie. Réduisez votre niveau de stress et vous serez plus performant plus longtemps. D’où l’intérêt de travailler avec des capteurs de stress dans le cyclisme. L’analyse des données liées au stress à vélo a par exemple mis en évidence la plus-value des reconnaissances des descentes de montagne ou des arrivées des courses cyclistes, que ce soit sur le vélo ou par le biais de la vidéo. Bon conseil pour le cyclotouriste amateur : utilisez la vidéo en repérage avant de vous lancer dans la traversée des Alpes ou des Pyrénées à vélo. Il existe de nombreuses vidéos de descentes de cols mythiques sur Youtube ou Vimeo. Cela pourrait vous aider à grimper le col suivant avec un peu plus d’énergie :)
- mesure de la pression des pneus : imaginez l’intérêt de suivre l’évolution de la pression des pneus des coureurs depuis la voiture du directeur sportif sur une course telle que Paris-Roubaix. Avec une précision de 0,01 bar, les capteurs actuels sont en mesure de collecter une donnée exploitable directement pendant la course. Un système d’alerte pourrait en effet informer le directeur sportif dès que la pression des pneus d’un de ses coureurs diminue de manière suspecte.
- analyse ADN : pour un cycliste professionnel, il n’est pas tout de rouler vite, encore faut-il pouvoir récupérer rapidement de ses efforts sur le vélo. La nutrition joue ici un rôle capital. Saviez-vous par exemple que plusieurs grands coureurs (comme Mathieu van der Poel) ont procédé à une analyse ADN pour déterminer le ‘recovery shake’ (boisson de récupération) le plus efficace pour une récupération rapide d’un effort?
Il ne s’agit ici que de quelques exemples. Dans un prochain article, je reviendrai plus en détail sur l’analyse des données liées à la position du cycliste sur le vélo. Un reportage qui devrait lui aussi vous surprendre. A suivre…
Quel gain espérer d’une analyse poussée des data dans le cyclisme ?
Pour Wim Vanden Driessche, le potentiel de l’analyse des data dans le cyclisme est énorme. Le milieu cycliste reste néanmoins très conservateur. Rares sont les équipes de l’UCI Pro Tour à franchir le pas. Selon lui, une question de mentalité et de génération.
La résistance au changement est de tous les temps. Souvenez-vous des plaidoyers anti-bicyclette à la fin du 19e siècle (par crainte de l’infertilité) ou encore des grèves des coureurs lorsque l’UCI a imposé le port du casque dans les pelotons. Sans oublier les débats épiques à l’arrivée des freins à disque…
“Les jeunes cyclistes sont beaucoup plus réceptifs aux nouvelles méthodes que les anciens du peloton. Les plus jeunes sont convaincus que l’analyse de leurs data leur permettra d’obtenir de meilleurs résultats sur le vélo. Idem chez les dames.”
Pour le compte de Belgian Cycling, l’équipe de Wim a développé un outil d’analyse des entraînements en temps réel. Par facilité, ils ont commencé par la piste car l’environnement présente l’avantage d’être plus constant que la route (pas de vent, pas de circulation, pas de dénivelé…).
L’algoritme a été mis au point avec le professeur Jan Boone, du département des sciences du mouvement et du sport de l’Université de Gand, pour intégrer tous les facteurs qui influencent les mesures.
“Forcément, cette approche scientifique du sport requiert au sein des fédérations (et équipes cyclistes) des techniciens ouverts à ces nouveautés et spécialisés en data, comme Erwin Koninckx, chez Belgian Cycling/Cycling Vlaanderen”.
Grâce à un tableau de bord, le coach national peut désormais suivre les performances des cyclistes à l’entraînement en temps réel. Entre-temps, la solution est aussi utilisée pour les entraînements sur route, depuis la voiture suiveuse.
Avec ce système, plus moyen de bluffer. On voit immédiatement qui est dans le rouge et qui en a encore sous la pédale.
“A terme, on pourrait arriver à une situation où le coach change les vitesses à la place des coureurs depuis la voiture suiveuse en fonction de l’état de forme de chacun. Les coureurs n’auraient plus qu’à pédaler, sans se soucier du reste”, ajoute-t-il avec le sourire.
Comment progresser à vélo grâce à la data ?
Un exemple concret ? Grâce à une analyse détaillée des données, le jeune spécialiste belge du contre-la-montre Brent Van Moer (Lotto-Soudal) est parvenu à franchir un palier. Les experts des data lui ont suggéré de mieux doser ses efforts, notamment en diminuant les watts en début de parcours. Conseil minutieusement suivi, avec une médaille aux championnats du monde à la clé.
“Ce type de conseil est d’autant plus aisé lorsque l’on dispose d’une grande quantité de données et d’un bon outil de visualisation”, commente Wim. “La visualisation est extrêmement importante pour dégager des tendances et identifier des pistes d’amélioration. Au début, nous travaillions avec des fichiers excel. Aujourd’hui, toutes les data sont collectées dans une base de données centralisée. Tout profit pour la qualité et la pertinence des analyses.”
“C’est par exemple grâce à la visualisation que nous avons compris il y a quelques années pourquoi Sven Nys était plus performant l’été que durant la saison de cyclo-cross. En adaptant ses temps de repos, il a encore augmenté sa suprématie sur la discipline”.
Que nous réserve l’avenir ?
Pour l’heure, aucune équipe cycliste professionnelle n’a encore adopté la data comme modèle de business à part entière. Selon Wim, le milieu du cyclisme est en retard sur d’autres sports d’élite où la data est devenue la norme. “Je suis convaincu qu’un modèle principalement basé sur la data révolutionnerait le cyclisme. Cela demande naturellement une vision à long terme des responsables des équipes et des fédérations. En quatre ou cinq ans, les équipes cyclistes qui snoberaient la data seraient probablement reléguées à un rôle de second plan !”.
Grâce à un screening basé sur la data, il serait parfaitement possible de détecter le prochain Remco Evenepoel. Une autre société du groupe Cronos, Panega Sports, est d’ailleurs en train de développer un programme de détection des aptitudes sportives dans les écoles pour orienter les jeunes vers les disciplines qui leur conviennent le mieux.
Aussi un plus pour les supporters et le cyclisme en TV
Au-delà des performances, les datas peuvent aussi renforcer l’attractivité du cyclisme pour les spectateurs.
Il y a quelques années, le groupe Cronos a lancé le projet In the race, pour vivre les courses cyclistes au plus près des coureurs. Via une application, les spectateurs avaient la possibilité de sélectionner un coureur et d’obtenir une multitude d’informations en temps réel : position dans la course, rythme cardiaque, wattage…
En passant d’un coureur à l’autre, le spectateur entre dans une dimension active. Cette forme de réalité augmentée lui offre une immersion inédite au coeur du peloton. Une fonctionnalité qui renforce considérablement l’attrait des courses à une époque où les téléspactateurs se contentent de plus en plus des résumés de course ou des 20 derniers km de course.
Les cafés ou clubs Zwift surfent sur une vague similaire en ajoutant une dimension sociale à votre entraînement individuel sur rouleaux.
L’an dernier, l’organisateur du Giro a proposé une expérience inédite aux cyclotouristes en collaboration avec Zwift : une course virtuelle avec les pros sur le parcours de la première étape du tour d’Italie, un contre-la-montre de 8,2 km. 9 cyclistes professionnels du World Tour se sont prêtés au jeu en roulant l’étape sur Zwift, après quoi chaque membre de la plate-forme a pu comparer ses performances avec celles des pros.
L’expérience a tellement séduit que certains évoquent l’idée de courses virtuelles pour les cyclistes professionnels. L’UCI et Zwift organiseront même des championnats du monde de cyclisme virtuel cette année !
L’innovation du cyclisme e-sport ouvre par ailleurs la porte à de nouveaux modèles économiques. Les avantages sont multiples : baisse des coûts logistiques pour les organisateurs de courses, nouvelles opportunités commerciales, source supplémentaire de recettes par le biais des inscriptions des amateurs, sécurité accrue pour les cyclistes professionnels (fin des chutes dans le peloton !)…
Le début d’une nouvelle ère
Comme le dit Wim, “Nous sommes au début d’une nouvelle ère”. A quand les lunettes avec réalité augmentée pour les coureurs ? A quand l’arrivée des drones en tête de peloton pour renforcer la sécurité ou remédier à la pénurie des signaleurs ? “Nous sommes loin d’avoir tout vu !”
D’un point de vue sportif, on peut naturellement s’interroger sur l’impact de toutes ces nouveautés. A partir de quand certaines technologies ou approches doivent être assimilées à du dopage mécanique ? Dans la course au gains marginaux, la limite est de plus en plus ténue… Passionnant la vélosophie, non ?
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Bonjour,
En cette période propice à la lecture et pour celles et ceux que l’article ci-dessus a intéressé, je ne sauris trop conseillé la lecture d’Augmentus de Olivier Silberzahn qui reprend pas mal des thèmes évoqués ci-dessus. C’est un roman mais très documenté et à lire absolument : http://biblio-cyclesdephilippeorgebin.hautetfort.com/archive/2019/02/05/silberzahn-olivier-6126601.html
Je mets un lien de Biblio Cycles vers Vélosophe.
Cordialement.
« Le milieu cycliste reste néanmoins très conservateur », d’où le refus de reconnaissances des vélos couchés par l’UCI ?